Journal des crêtes

Marie-France Giraudon & Emmanuel Avenel.
Installation vidéo, versions à treize et à dix-neuf canaux, 2000-2007. / video installation, thirteen-channel or nineteen-channel versions, 2000-2007.

Journal des crêtes s'inspire d'une promenade-performance le long de la ligne de crête des Pyrénées, de la mer à l'océan en passant par la haute montagne. Le choix géographique du site positionne la traversée entre le ciel et la terre, par rapport à deux mers, deux versants opposés, deux pays, deux cultures, deux mondes.
L’exposition est imprégnée de l'expérience paysagère perçue lors de la traversée à pied, caméra au dos, pendant plusieurs semaines. Elle propose une vision métaphorique de la montagne comme entité naturelle, géographique, culturelle, mythique, spirituelle. Elle recrée une topographie fictionnelle et subjective du site, à partir de la cartographie du territoire, de la représentation vidéographique et sonore des paysages arpentés et observés, et de l’évocation par les mots de la perception intérieure de l’expérience.
La montagne, regardée de la plaine ou d’un belvédère, s’offre d’un coup et s’impose comme paysage grandiose, au panorama spectaculaire et séducteur. Elle apparait aussi comme une barrière dressée sur l’horizon qui peut sembler infranchissable. Vivre la montagne, y séjourner, y marcher permettent d’accéder à d’autres niveaux de perception, qui passent par le temps de la promenade, l’effort de l’ascension, l’observation, la respiration, la méditation.


Journal des crêtes, document sur l’installation, 29 minutes (extrait 1, 5 minutes 16). / Journal des crêtes, documentation about installation, 29 minutes (excerpt 1, 5 minutes 16).


Journal des crêtes, document sur l’installation, 29 minutes (extrait 2, 5 minutes 53). / Journal des crêtes, documentation about installation, 29 minutes (excerpt 2, 5 minutes 53).

DISPOSITIF D’INSTALLATION

L’installation est conçue pour être appréhendée d’un point de vue privilégié, de l’entrée de l’exposition. Elle apparaît alors structurée selon un effet perspectiviste, son point de fuite étant figuré par le faîte du dispositif (angle de deux murs au plafond, par rapport auquel il est orienté). Ce point imaginaire vers lequel convergent tous les éléments de l’exposition, à la fois nous maintient en-deçà de l’installation, voire de la montagne, et nous projette au-delà, vers le ciel, le cosmos, dans le monde du rêve. Journal des crêtes prend forme grâce à la cohabitation de la vidéo, des sons et de la topo-copigraphie. Ces trois dispositifs s’entretissent, développant des aspects qui leurs sont propres tout en interagissant et se complétant les uns les autres. Une fois au cœur de l’exposition, le regardeur se trouve enveloppé par les sons, les images, les cartes et les textes qui s’offrent comme des voies d’accès à différents niveaux de lecture et de perception. Le déchiffrage s’opère dans le temps, par étapes, comme une sorte d’initiation.

Dispositif vidéo
Les écrans vidéo figurent la ligne de crêtes par leur mise en espace ascensionnelle et leurs dimensions dégressives en direction du sommet, recréant l’impression d’éloignement et d’inaccessibilité des cîmes. Les vidéos réfèrent chacune à l’observation d’un site spécifique en basse, moyenne ou haute montagne. Des «relevés de paysages » sur 360 degrés alternent avec la « visée » de repères architecturaux ou naturels, tandis que les marches suggèrent le cheminement et l’idée de la promenade.
Le traitement des images renforce leur potentiel imaginaire, en les subjectivant et en les distanciant d’une captation « documentaire ». En plus du ralenti, des extraits du journal de voyage et des fragments de cartes topographiques filtrent ou masquent les paysages observés et contemplés. L'espace est ainsi reconstruit, sa profondeur recréée dans l'épaisseur des couches d'images et de mots, dans l'interaction entre le caché, le montré, l'observé, le lu mais aussi l'entendu.

Dispositif sonore
L’espace sonore réfère à l’étagement lié à l’altitude, de la mer aux forêts, aux alpages, aux sommets. Il est scandé par les déplacements du promeneur. Les ambiances sont reconstruites et les sons sont traités pour les distancier d’une expérience objective, les dramatiser et les poétiser. Dans l’installation, la spatialisation des sons et leur interaction aléatoire permettent la constitution d’un véritable espace acoustique. Celui-ci propose un environnement toujours changeant, laissant place à la rencontre de phénomènes sonores imprévisibles et variables à l’infini. Il invite aux déplacements du regard, du corps et de l’esprit et participe activement au renouvellement de la perception pendant la visite de l’exposition. Il interfère principalement sur le corps physique du regardeur, agissant au niveau des sensations et de l’affect. En ce sens, il fait contrepoint avec les dispositifs vidéo et topo-copigraphiques dont les effets portent davantage sur l’intellect.

Dispositif topo-copigraphique
Ce dispositif représente une topographie subjective : sorte de radiographie du territoire dans laquelle se révèle ce qui n’est pas visible : l’expérience intime, le vécu; évocation d’une empreinte « digitale » imaginaire laissée sur la peau terrestre lors de la promenade; carte mentale.
L’agrandissement de fragments topographiques a permis de créer un environnement à l’échelle du regardeur qui se trouve enveloppé physiquement. La carte glisse vers le territoire dans sa mise en espace. Les trois échelles d’agrandissement structurent le point de vue, de loin (la ligne de crête) jusqu’à l’observation d’un infime détail (un lieu spécifique).
L’écriture sur les cartes re-façonne le relief en dessinant une nouvelle topographie imaginaire du territoire. La graphie des lignes de texte s’inspire courbes de niveaux utilisées en cartographie. Elle renforce certaines lignes remarquables (la frontière, le parcours de la promenade) ou encore souligne des points géographiques particuliers. L’écriture manuscrite ajoute une dimension sensible et intime aux fragments topo-copigraphiques. Et sa plus ou moins grande lisibilité contribue à faire basculer la carte vers la notion de paysage.